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« C’est un truc incroyable ce virus ! » Revivre la 1ʳᵉ vague au service de réanimation du Dr. Bedos

« C’est un truc incroyable ce virus ! » Revivre la 1ʳᵉ vague dans un hôpital de France avec un médecin chef de réanimation. Une interview du Docteur Jean-Pierre Bedos,

Chef de Service Réanimation – Chef du Pôle CANDEUR, CHU de Versailles, Site Mignot.




The Brief: Pouvez-vous nous dire votre expérience face à la vague COVID‑19 en tant que chef de service?


Dr Bedos: « Pour réussir, il ne suffit pas de prévoir, il faut aussi improviser », en trois semaines, du 4 mars au 30 mars, nous sommes passés de 20 lits de réanimation à 51 sur l’hôpital, en « armant » les salles de réveil, notre unité de surveillance continue, les unités de soins intensifs de cardiologie (USIC). Ce fut extrêmement difficile, passionnant, épuisant, mais tout le monde a fait preuve d’une grande solidarité et solidité… les médecins, les infirmières, car on a dû reformer des infirmières d’autres services, aller chercher les anciennes infirmières de réanimation, des aides soignantes, car au début de cette crise sanitaire, nous étions en déficit d’infirmières  ! De même sur un plan médical, des médecins juniors et seniors, anciens du service, sont revenus pour faire face à la charge de travail énorme, à l’augmentation des lignes de gardes quotidiennes.


Mais tout cela fut bien géré, avec un grand professionnalisme de tous. Au quotidien, la gestion de la « raréfaction » de tout était gérée avec toutes les directions fonctionnelles de l’hôpital : masques, surblouses, gants, lunettes, pousses seringues électriques, ventilateurs, médicaments pour sédation – curarisation, etc. Compte tenu du risque de transmission inter-personnelle, très rapidement, dès fin février, tous les personnels devaient porter des masques dans le service, les familles et visiteurs aussi. Ainsi, très peu de personnels de la réanimation ont été malades, alors qu’il y a une centaine de personnels paramédicaux, 25 médecins seniors et juniors.


The Brief: Vous aviez aussi renforcé le contrôle infectieux?


Dr Bedos: Le contrôle infectieux était draconien, nous étions habillés comme des cosmonautes  ! Pour presque un patient sur deux, il y a eu des cas d’infections pulmonaires nosocomiales, ainsi que beaucoup de bactériémies, plus de 20 % avec des bactéries un peu inhabituelles, ce qui nous a un peu surpris. En particulier, Staphylocoques à coagulase négative. En revanche, très peu de BMR (Bactéries Multi-Résistantes).

Toutes les mesures d’hygiène et de protection étaient particulièrement respectées.


The Brief: Combien de malades?


Dr Bedos: 101 malades entre salle de réa, salles de réveil, USC et USIC ont été pris en charges, ainsi que 780 patients sur notre hôpital à Versailles, le 1er malade était arrivé le 4 mars.

On en a encore un à 61 jours  ! 50 jours de réanimation, et qui est en train d’être doucement sevré de la ventilation, qui a été trachéotomisé et qui est en train de progresser. La durée de ventilation est très longue, il faut être patient, 18 jours en moyenne, mais beaucoup finissent par guérir, la majorité de nos patients ont été ventilés mécaniquement, 85 % avec intubation sous sédation et curarisation avec de nombreuses séances de décubitus ventral pour améliorer l’oxygénation, quelques-uns avec de l’Opti-flow – l’oxygène à haut débit, par voie nasale avec un succès très partiel.

Donc curarisation très longue, sans jamais de pénuries, mais à flux tendu au jour le jour en permanence, avec des pharmaciens ayant parfaitement anticipé les stocks.

Nous n’avons également pas eu de ruptures de stock pour tout ce qui est surblouses à manches longues, lunettes, masques toujours ric-rac, on a été aidé par le CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique), beaucoup d’aide de sociétés privées, mais on n’a jamais manqué, même si on a beaucoup changé de marques -- par exemple les manches courtes c’était pas possible.

Chaque médecin avait de la responsabilité dans son domaine, pousse seringues, éthique, décisions, et un médecin coordinateur qui a géré le tout, et nous avions des réunions d’équipes de une heure ou une heure et demie avec les infirmières qui étaient référentes, les cadres, pour faire le point de tout ce qu’il fallait car pour ‘armer’ comme on dit, des lits de réa un peu partout dans l’hôpital, il a fallu pas mal de matériel supplémentaire qu’on n’avait pas : en particulier, plus de ventilateurs (respirateurs), de pousses-seringues, mais on a toujours été bien organisés surtout quand l’argent ne compte plus : tout ce qu’on voulait on l’avait !


Nous sommes un CHG (Centre Hospitalier Général), on est un peu considérés comme CHU, mais on est hôpital général, il y a les mêmes restrictions, même T2A (système de tarifications à l’acte), mêmes déficits. Nous on a 4,5 millions de déficit sur 280 millions d’euros de budget à peu près. Mais là les vannes ont été ouvertes. Tous ce qui nous manquait on a pu le demander. Points journaliers faits avec l’ARS.


The Brief: Vous seriez prêts pour une 2e vague?


Dr Bedos: Matériellement et organisationnellement on est prêts. Mais moralement, psychologiquement, on ne pourrait pas revivre deux fois ce qu’on a vécu, je pense. Ou alors ce serait très difficile. Il y aura probablement une 2e vague mais pas au niveau de celle vécue.

Car il y a toute une organisation alors qu’il n’y avait rien au début, pendant des semaines, et des retards au déclenchement.


The Brief: Vous pouvez nous dire quelque chose de votre expérience personnelle en termes de santé?


Dr Bedos: Cette période de travail intense dans une société à l’arrêt et une ville « morte » m’a beaucoup touché psychologiquement. J’ai même fini cette période avec un accident cardiaque. L’impression vers la fin mars que l’on allait être saturé par l’afflux de patients a été très désagréable. Heureusement, le 1er avril, l’ARS a décidé de transférer 9 malades de nos soins critiques par TGV, et SMUR, en province, dans la même journée, et cela nous a redonné une capacité d’accueil.

La mortalité globale a été plus faible que celle attendue et a été de 26 %. Les gens de plus de 80 ans sont tous décédés, et il y a eu 36 % de décès sur les 70-79 (25 malades). Chez les moins de 40 ans, pas de décès.


The Brief: Maladie entraînant des micro-thromboses?


Dr Bedos: C’est vrai que les malades étaient très inflammatoires comme on dit, avec des marqueurs biologiques inflammatoires élevés, mais on a pas eu d’embolie pulmonaire (EP).

On a fait du préventif à double doses avec les anticoagulants chez tous les malades.


The Brief: Est-ce que les autres centres hospitaliers ont fait de même?


Dr Bedos : Oui petit à petit, car des hôpitaux ont eu des embolies pulmonaires mortelles et on a tous remarqué l’élévation des D-Dimères, des marqueurs biologiques inflammatoires.


The Brief: Il est très difficile en France d’utiliser un traitement compassionnel, on voit cela avec les bactériophages (on en a discuté à l’EMA). Est-ce que si un produit est agréé par le CCP, un patient peut le demander?


Dr Bedos: Au début 10 patients ont été mis sous Kaletra, mais avec beaucoup d’insuffisance rénale, alors on a arrêté. Mais ensuite les corticoïdes ont été utilisés sur les cas les plus graves. Nous avions discuté des transporteurs d’oxygène (basés sur les recherches du Dr Franck Zal, Hemarina, voir AMR-Think-do-Tank news- NDLR)), comme je vous avais dit mon intérêt pour ce produit intéressant issu des vers marins.


J’avais lu le protocole qui a failli être testé à l’APHP. Difficile, car encore un produit jamais testé en IV chez l’homme. Le protocole se proposait de tester sur des malades en échec grave et placés en ECMO (Oxygénation extra-corporelle), or nous n’avons eu que 6 malades en ECMO. Il y a eu 3 décès, trois survies. Donc trouver le groupe de patients « cibles » était très difficile.

Mais cette molécule, il est possible qu’elle soit très intéressante, avant, bien avant ces stades de sévérité ultime ! Étant donné qu’on a eu des malades intubés sous ventilation pendant des jours et des jours, sur le principe on aurait bien aimé pouvoir tester cette molécule. Peut-être l'essayer sur des SDRA très sévères ?


A New York on a eu 88 % de mortalité sous ventilation, vous me disiez. Nous c’est 25 % mais faut pas limiter les soins à 15 jours, il faut garder les malades très très longtemps. On a eu un monsieur, de 78 ans, ventilé pendant 60 jours, il est allé en soins de suite, il marchait, il était cohérent ! Avec une sédation très lourde pendant des semaines ! Il est vrai que des mois après des malades sont revenus avec des problèmes respiratoires, comme des rechutes moins graves…


The Brief: Pourquoi peu de recherche fondamentale sur la maladie ? Les réseaux de diabétologues ont maintenant démontré que le SARS‑CoV‑2 peut entraîner un diabète chez des gens sains, ce coronavirus peut donner des maladies cardiaques, vasculaires, rénales, affecter le système nerveux central, et bien entendu pulmonaire. En Californie aujourd’hui, presque la moitié des cas affecte des jeunes adultes!


Dr Bedos: C’est vrai que c’est arrivé tout d’un coup et même un petit pourcentage de cas graves par million, ça fait beaucoup. Il semblerait que le virus mute aux USA où on voit un net rajeunissement des malades.


Le Pr Raoult a pris le problème à l’envers, à l’opposé de la norme des essais cliniques, sans groupe contrôle. Donc entre une recherche académique trop lente inadaptée à cette situation unique.… et beaucoup d’études mal faites ou ouvertes, je ne sais toujours pas si l’azithromycine associée à l’hydroxychloroquine, ça marche ou pas ? Mais c’est pas plus dangereux qu’un autre médicament. Une étude récente sur les corticoïdes chez les patients les plus graves : 25 % de décès dans le groupe avec, versus 40 % de décès dans le groupe sans, si on lit les détails. Ainsi, les corticoïdes en cas d’inflammation importante peuvent être utiles, sans plus.


Concernant les traitements à visée anti-virale, je pense que l’on peut à ce jour parler de naufrage des études. Rien n’a démontré une réelle efficacité.

Mondialement, on a rien compris, encore, de la COVID‑19, on est dans l’observationnel pour le moment. C’est un truc incroyable ce virus!

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